Le quartier des Bonniers

Après la bataille de Waterloo, Lobbes et les villages voisins firent partie des Pays-Bas jusqu’en 1830. De 1816 à 1826, les cartographes militaires entreprirent de lever de nouvelles cartes. C’est ainsi que nous avons un aperçu de l’extension de notre village vers le nord. La grande forêt avait été abattue pour livrer passage à la nouvelle route qui relierait Thuin et Lobbes à la zone industrielle du Centre. Un carrefour permettait la liaison de ces deux sections en un axe unique aboutissant à la route de Bascoup. De part et d’autre, le terrain boisé fut défriché et loti en parcelles susceptibles d’accueillir de nouvelles habitations. A vue de nez, une parcelle s’étendait sur un bonnier. Il s’agissait de mesures anciennes qui avaient le défaut de varier d’un lieu à l’autre. Ainsi à Rance, le bonnier valait 1ha 20a (12.051 m2) alors qu’à Thirimont, le bonnier de Liège valait 1ha36a (13.626m2). Quoi qu’il en soit du système métrique, ce nouveau quartier porta vite le nom de « Les Bonniers », et on parla encore longtemps de nouveaux défrichements que nos ancêtres nommaient « dérodés (1) ou « drodés » (2). C’est donc au début du 19ème siècle que les Bonniers virent le jour à la place d’une forêt abattue. Au début, les habitants ne se pressaient sans doute pas pour y habiter. Ironiquement, un des nouveaux chemins fut appelé: rue des 4 Djins. En ce début de 21ème siècle, il semble bien que tous les espaces y seront bâtis mais changera-t-on le nom de la rue?

En 1985

Cependant, nous ne pouvons pas croire que le haut du plateau d’Anderlues connaissait les feuillus depuis le déluge!

En 1985, après une reconnaissance aérienne, le CRAL entreprit de fouiller la terre sise au nord de l’étang du Poisson Rouge. A la surface du sol, on releva des fragments de céramique à enduit rouge « pompéien ». Les recherches permirent de mettre à jour un abondant matériel céramique datable de la deuxième moitié du 2 ème siècle. On sut ainsi que la forêt couvrant le quartier des Bonniers avait déjà été peuplée partiellement à l’époque Gallo-Romaine.

Avec l’aide du Service SOS Fouilles, on découvrit d’autres traces d’activité humaine de la même époque: un four de potier aux Drodés (2) , des monnaies romaines et un bâtiment à caractère rural aux environs du Chemin de 100 pieds(3).

Après le moyen-âge

Après le Moyen-âge et jusqu’à la fin de l’ancien régime (1794) , les habitants de Lobbes avaient le droit de mener leurs animaux pour le champiage et le pâturage dans la grande forêt couvrant le plateau. Au sud, celle-ci commençait au Trou-des-loups (4), au Calvaire et à la Borne (6) . Bien entendu, il fut nécessaire d’établir quelques règles. En 1292, le Prince-Evêque de Liège émit une ordonnance à ce propos mais en 1718 encore, on établissait un accord entre Lobbes et Thuin pour que les paysans ne dépassent pas dans les bois les limites de leur commune. Une grosse borne marquait la limite entre Thuin et Lobbes. Elle fut enlevée le 5 janvier 2000 lors de la création du ZI. On sait qu’elle existait déjà il y a cinq siècles. En 1450, un Record des Echevins de Lobbes parlait d’une limite.. ».allant à la grosse pierre qui départ la banlieulle de Thuin et notre jugement… » Peut-être sera-t-elle remise à l’honneur un de ces jours!

Il y avait donc pas mal d’animation sous les chênes et dans les clairières. En fait, le bois aidait bien les pauvres gens à survivre.

La fraude

Certains, plus malins et plus audacieux faisaient de la fraude. C’est que le tracé de la frontière était constitué par le ruisseau du Rabion (7) et celui de la Fontaine au Lait (8). Peut-être que les bornes anciennes sont encore enterrées près de l’Etang Bleu ou près du carrefour Market.

Cette frontière, alors bien cachée dans les bois, s’éparait la loi des Pays-Bas (Hainaut) de la loi de l’Empire Germanique (Principauté de Liège) Pour les frontaliers, cela devait être tentant de vendre ses petites récoltes à Anderlues ou d’acheter sa farine à Mont-Sainte-Geneviève lorsque les taxes différaient considérablement d’une région à l’autre. Les maîtres de forges voulaient aussi profiter de l’aubaine. Ils s’établirent sur la Sambre à Hourpes, là où quelques centaines de mètres de rivage relevaient du pouvoir de Mons et tout au tour c’était à Liège. Pour ne pas payer de droit de passage, ils créèrent le fameux chemin de Cent Pieds (3) qui d’Epinois à Hourpes permettait d’amener les chars de minerais et de coke. Cent pieds, cela fait une emprise de 29,343m de large! C’était la norme des  » cauchies » des villes importantes. Sur ce plateau forestier, c’était l’espace dénudé indispensable pour transporter en toute sécurité le coke encore brûlant jusqu’au fond de la vallée.

L’histoire des Bonniers aurait-elle une préhistoire?

A part quelques outils du néolithique, nous n’en connaissons pas encore assez pour en parler. Par contre un événement important s’était déroulé dans la forêt juste 100 ans avant les grands « drodés » (2). C’est à Lille qu’un vieux rapport paroissial nous a révélé l’acte de naissance de la chapelle ND aux Charmes (9). Il relatait la visite d’inspection du doyen de Binche à la paroisse Saint Ursmer de Lobbes. On y lit qu’en 1720, un certain Jacques Bustia, échevin de Lobbes, fit construire une chapelle au bord d’un chemin traversant la forêt. En fait, il la fit construire près d’une source où on avait affiché une image de la Vierge dénommée ici: Notre-Dame de Carpin. Voilà donc bien le plus ancien immeuble des Bonniers.

Si le sol des Bonniers est fait comme partout en Thudinie d’une couche de limon déposé par le vent, son sol est constitué de grès comme on peut en voir dans la vallée de la Sambre mais aussi dans la vallée de la Meuse. L’exploitation de ce grès date de plusieurs siècles puisque la Collégiale de 823 fut construite avec ce matériau local. Au XIXème siècle, les carrières S. Roch (10) et de S. Nicolae (à l’étang Bleu (11) ) permirent de construire bien des murs avec son grès jaunâtre ou brun clair dit: « de Wépion ». Les habitations où le grès de Burnot fut utilisé sont plus anciennes et on les reconnaît à la couleur grenat et chocolat de leurs moellons. A cause de ce proche sous-sol fait de roches imperméables, la nappe phréatique est souvent affleurant. C’est elle qui a rempli l’Etang Bleu (11) mais aussi la mare du Calvaire. C’est encore elle qui alimente le puits de la crypte de St Ursmer et « pichote » dans les caves et les versants des vallons de la Fontaine au Lait, de la Fontaine Dichère (12) ou de la Source ND aux Charmes (9). Toujours sur la carte levée entre 1816 et 1826, on peut observer que la rue du Calvaire se prolonge au-delà de la chaussée de Thuin et suit en parallèle les petits ruisseaux issus de ces sources jusque la rivière Sambre.

Le calvaire de Lobbes

Le Calvaire de Lobbes a une origine antérieure au XVIIIème siècle. Généralement, une croix monumentale était dressée à l’entrée du village sur la route principale. Vers 1770, il y avait déjà un hameau de six habitations autour de ce calvaire à l’orée du bois. Pourtant, il faudra attendre un document postérieur d’un demi-siècle pour y lire le tracé du chemin d’Hourpes. Une question demeure: Par quelle voie terrestre, les moines voyageaient-ils de l’abbaye de Lobbes à celle d’Aulne? Les chemins dans les forêts ont toujours gardé bien des mystères. Ainsi en est-il aussi des vieux chemins qui menaient à Binche. Après la translation des reliques de la Collégiale en 1409, plusieurs légendes évoquèrent des aventuriers locaux partis récupérer « nos » reliques des saints de Lobbes. Cela ne pouvait se faire qu’en franchissant le ruisseau de Rabion quelque part dans le bois du Baron (13). Chaque fois l’histoire se termina par l’immobilisation des courageux lobbains à deux pas du ruisseau marquant la frontière. Pourtant, ce n’est pas du ciel que venait la punition mais bien du sol. C’est que ce gentil ruisseau surfe son lit sur une tourbière. Les sphaignes se sont développées dans le bois humide et à longueur du temps, leur décomposition a créé un marécage dangereux. Ces dernières années, les g’Lobbes Trotters ont sécurisé le franchissement du Rabion en établissant deux passages sur caillebotis (14). Cela fut connu dans la cité du Gille où les vieux trésors sont désormais sécurisés.

La rue des loges

Une troisième route fait aussi mystère aux Bonniers. Bien que totalement remise à neuf, la rue des Loges n’avoue pas facilement son origine.

De quelles loges s’agit-il?

Cette longue rue de Lobbes-Bonniers tire son nom d’un édifice ancien qui s’élevait à l’extrémité nord du chemin. Les cartes militaires (1908) indiquaient encore le château des Loges dans le hameau anderlusien de Vannériau. On peut lire également « Bois des Loges » sur cette carte très détaillée. Mais quel sens faut-il donner à cette appellation? Une architecture aux larges arcades? Un manoir possédant un théâtre? Quelque société secrète? Rien de tout cela! C’est Willy Guerlement qui nous en dévoile le sens (*). En 1795, François Bonier, seigneur d’Eloges meurt sans postérité au château d’Eloges (15) . C’est ainsi que la terre « des loges » passa à la famille de Leuze. Le même auteur cite aussi le bois d’Eloges essarté avec le bois des Pauvres tout proche. C’est donc un jeu de mots qui nous vaut le nom de ce vieux chemin.

(*) Anderlues au fil du temps (T1 p78 et T2 p.289)

J. Meurant

(1) rue des Dérodés
(2) les dérodés
(3) le Chemin de 100 pieds
(4) le Trou des loups
(5) le hameau du Calvaire
(6) la ferme de la Borne
(7) le Rabion
(8) la Fontaine au lait
(9) Notre-Dame aux Charmes
(10) carrière S. Roch
(11) carrière S. Nicolae
(12) la Fontaine Dichère
(13) le bois du Baron
(14) les caillebotis
(15) le château d’Eloges